Votre enfant a souvent mal au ventre ? Il se plaint fréquemment de céphalées ?
Votre adolescent souffre régulièrement de douleurs au dos ?
Si vous êtes parent d’un enfant présentant des douleurs chroniques, il est probable que vous êtes dans une situation difficile. Vous voulez l’aider à avoir moins mal. Vous êtes perdu et inquiet. Vous avez peur de mal faire.
Voici 8 erreurs à ne pas faire pour comprendre et soulager votre enfant qui a mal.
Cet article ne concerne que les douleurs chroniques non cancéreuses, répétées ou récidivantes. Les douleurs chroniques cancéreuses ou aigues répondent à d’autres impératifs.
Sommaire
Ne pas croire l’enfant qui a mal, minimiser et nier sa plainte de douleur
Face à un enfant qui a mal, il est important d’accueillir sa plainte de douleur. Des réponses comme « ne pleure pas ce n’est rien » et « ne sois pas douillet » sont inadaptées. Elles reviennent à nier la réalité de ce que vit l’enfant douloureux et à juger sa manière d’exprimer sa douleur.
Votre objectif est de comprendre son point de vue.
Ne minimisez pas le pourquoi il a mal [« le petit hématome au genou ne devrait pas faire si mal après tout ! »]. Ne minimisez pas le comment il a mal [« il a fait une petite chute à vélo, c’est une simple éraflure, pourquoi crie-t-il autant ! »]. Il n’y a pas toujours une relation directe entre la douleur et un dommage corporel.
N’établissez pas de lien de causalité simple entre lésion/blessure éventuelle et la douleur. Il n’y a pas de relation proportionnelle entre la taille de la lésion et l’intensité de la plainte. Peu importe qu’il y ait lésion ou pas. Ce qui compte c’est ce que votre enfant vous dit de sa douleur.
La douleur de l’enfant est légitime même si rien ne se voit. C’est donc parfois un handicap invisible. La douleur chronique reste un phénomène très subjectif.
Ne rejetez jamais la plainte de douleur d’un enfant. Si vous le faites, cela peut souvent conduire :
- à l’apparition d’autres plaintes/symptômes
- au déplacement des symptômes [Ex. : les maux de tête deviennent des maux de ventre]
- à une augmentation de l’intensité des plaintes de douleur
Oublier le comportement-douleur
La douleur peut s’exprimer au travers du comportement.
Les manifestations les plus fréquentes sont : cris, pleurs, agitation psychomotrice, plaintes verbales.
D’autres comportements peuvent être l’indicateur d’un enfant douloureux :
- agressivité
- irritabilité
- évitement de certaines situations
- diminution des activités de loisir ou du temps de jeu
- apparition de troubles du comportement
- modifications de l’appétit
- diminution du périmètre de marche
- perturbations du sommeil
- non utilisation d’un membre
La douleur de l’enfant ne se dit pas toujours, parfois elle se montre. Vous devez apprendre à repérer les modifications de comportement qui indiquent que votre enfant a mal.
Il faut croire votre enfant dans ce qu’il dit et dans ce qu’il montre.
Toute douleur, qu’elle que soit sa cause, renvoie à un vécu émotionnel, cognitif et comportemental que l’on va appeler « comportement-douleur ».
Si votre enfant présente des troubles cognitifs sévères, des troubles de la communication ou est en situation de handicap, votre capacité à décoder les comportements est encore plus importante. Dans ces situations, les plaintes verbales spontanées peuvent en effet être absentes. C’est aussi le cas chez le très jeune enfant. Le comportement est alors la seule clé pour comprendre si l’enfant est douloureux.
L’hétéroévaluation de la douleur est l’observation des réactions/modifications de comportement attribuables à l’existence de la douleur. C’est aussi l’observation du retentissement de la douleur sur le comportement.
L’hétéroévaluation de la douleur repose sur le principe que tout changement de comportement [spontané ou survenant pendant un soin] doit faire évoquer la possibilité d’une douleur et la rechercher.
Il s’agit donc d’évaluer la composante comportementale de la douleur.
Ignorer l’enfant trop calme
La douleur de l’enfant ne se manifeste pas toujours par des comportements excessifs ou bruyants. Elle ne s’exprime pas toujours par de l’agitation. Elle peut se manifester par des comportements atypiques : immobilité, mutisme, apathie, retrait. Ceux-ci sont souvent le signe d’une douleur d’intensité importante.
Si un enfant a trop mal, il peut lui être impossible de réagir. On parle alors d’atonie psychomotrice. Vous pourriez vous tromper et croire qu’il est trop calme ou triste. Par contre, si la douleur est correctement traitée il retrouvera un mode de fonctionnement normal [bouger, parler, jouer…].
Il est parfois difficile de faire la différence entre l’atonie psychomotrice et un trouble dépressif.
Attirer son attention sur la douleur au lieu de le distraire de la douleur
Il existe un lien entre l’attention et la douleur. Ce lien a conduit à formuler l’hypothèse d’un rétrécissement attentionnel (1) (2).
Selon l’hypothèse du rétrécissement attentionnel, la douleur est un « stimulus perceptuel exigeant de l’attention ». La douleur lorsqu’elle est présente mobilise une partie des ressources attentionnelles de l’enfant.
Si la douleur a un impact sur l’attention, l’inverse est vrai. Détourner son attention de la douleur en réalisant d’autres tâches peut conduire à une diminution de cette douleur.
Une stratégie de distraction est d’autant plus efficace qu’elle repose sur une tâche cognitive suffisamment exigeante pour diminuer les ressources attentionnelles consacrées à la perception de la douleur. Ceci est démontré par des données d’imagerie cérébrale (3).
L’hypothèse du rétrécissement attentionnel permet donc de comprendre la fonction perturbatrice de la douleur sur l’attention et la fonction de distraction de l’attention sur la douleur.
Mais face à votre enfant qui a mal ou face à votre adolescent qui se plaint fréquemment de douleur, vos émotions et vos peurs peuvent vous conduire à attirer toute son attention sur sa douleur au lieu de le distraire de cette douleur.
Vous ne voyez pas comment ? Vous lui demandez souvent comment il se sent ou si il a mal. Vous lui demandez de décrire ses douleurs ou de vous expliquer ce qu’il ressent. Vous lui demandez si aujourd’hui il a moins mal qu’hier. Toutes ces questions ramènent l’attention de l’enfant sur sa douleur, sur son corps, sur ses symptômes. De plus, si il s’ennuie ou s’il n’a rien à faire, il pourra se concentrer davantage sur sa douleur.
Certains parents très angoissés par la douleur chronique de leur adolescent peuvent aller plus loin. Consulter internet à la recherche d’informations, faire lire ces informations à l’adolescent, lister les caractéristiques de la douleur pour établir un diagnostic, comparer avec leurs douleurs d’adultes sont de mauvaises stratégies.
Il faut donc encourager l’enfant à s’engager dans des tâches/activités qui vont mobiliser son attention sur autre chose que la douleur. Ces tâches/activités peuvent être cognitives [lire une bande dessinée, regarder un dessin animé, colorier, écouter de la musique …] ou physiques [aller se promener, pratiquer un sport, …]. De cette manière, vous renforcez son sentiment d’efficacité personnelle. Il a le sentiment de contrôler sa douleur.
Avoir des idées fausses sur sa perception de la douleur
« Il est trop petit pour avoir mal ». Vous avez déjà entendu cette phrase. Même les médecins ont en effet pensé longtemps que les très jeunes enfants, en particulier les bébés, ne percevaient pas la douleur ou la percevaient moins. L’explication donnée était que leur système nerveux et en particulier les voies de la sensibilité à la douleur étaient immatures ce qui ne leur permettait pas de faire l’expérience de la douleur. Depuis plusieurs années maintenant, nous savons que c’est faux.
Les nouveau-nés ressentent la douleur. Cette douleur peut avoir un impact négatif sur leur santé si elle n’est pas soulagée. Il n’y a donc pas d’âge pour avoir mal.
D’autres idées fausses ont existé. On a pensé que les enfants avec un handicap impliquant des troubles cognitifs ou un retard mental ou les enfants avec des troubles de la communication verbale ne percevaient pas la douleur. Ces idées sont fausses.
L’enfant, quel que soit son âge, son handicap ou ses capacités de communication verbale perçoit bien la douleur. Celle-ci doit être évaluée et traitée correctement.
Les enfants en situation de handicap ou avec des troubles de la communication verbale demandent d’autres stratégies d’évaluation de la douleur avec des outils adaptés.
Ne pas évaluer le remaniement de la dynamique familiale
La douleur chronique de l’enfant a souvent un impact sur la famille, son organisation, ses habitudes. Elle peut parfois prendre trop de place. Voici quelques exemples de modifications que la douleur peut entraîner au niveau familial :
- toute l’attention est accordée à l’enfant douloureux au détriment des autres enfants de la fratrie
- les membres de la famille peuvent faire les tâches du quotidien à la place de l’enfant douloureux
- l’enfant douloureux peut se replier dans une relation exclusive avec l’un des parents
- la douleur peut être utilisée pour éviter les situations déplaisantes
- les consultations médicales répétées peuvent devenir un prétexte à se retrouver seul avec l’un des parents
- la douleur est utilisée comme moyen de communication avec le parent pour obtenir de ne pas aller à l’école.
Le système familial peut aussi participer au maintien d’une douleur chronique. Prenons l’exemple d’un parent présentant lui-même des douleurs chroniques. L’enfant apprendra à gérer sa douleur en observant le parent douloureux. Cela s’appelle la modélisation.
Les enfants qui ont un parent douloureux chronique qui ne gère pas bien sa douleur ne pourront pas apprendre à gérer correctement leur douleur.
Vous devez donc toujours évaluer comment le système familial réagit face à l’enfant douloureux.
Sous-estimer la mémoire de la douleur
Il existe des relations entre la douleur et la mémoire.
Toute douleur peut être mémorisée.
La mémoire de la douleur est étroitement liée à son intensité. Plus une douleur est intense, plus il est probable qu’elle sera mémorisée.
La mémoire de la douleur est étroitement liée à son caractère traumatique. Plus le contexte en lien avec la douleur est traumatique sur le plan psychologique, plus il est probable que cette douleur sera mémorisée.
Le souvenir d’une expérience douloureuse peut aussi être réactivé lors d’autres épisodes de douleurs aigues [Exemple : vaccination] (4) (5)
Les premières expériences de douleur de l’enfant sont importantes. Elles détermineront comment il réagira plus tard à la douleur.
Faites donc attention aux premiers soins accordés à l’enfant [vaccination, circoncision, prélèvement …]. Si nécessaire, il ne faut pas hésiter à utiliser une analgésie préventive.
Ne pas avoir les bons mots pour évoquer la douleur et les traitements de la douleur
Un enfant douloureux doit parfois faire l’objet de soins et de traitements. Il est donc nécessaire de pouvoir utiliser les bons mots pour parler de la douleur et de ses traitements.
Choisissez avec précaution vos mots. Certains mots, certaines expressions pour parler de la douleur et de sa prise en charge peuvent être anxiogènes. Certains mots mal choisis peuvent augmenter la perception de menace liée à la situation.
Voici quelques exemples de choses à ne pas dire et à dire.
Article proposé par Th. Joiris
(1) Eccleston C., « Chronic pain and attention : a cognitive approach », British Journal of Clinical Psychology, 1994; 33 : 391-405
(2) Eccleston C., Crombez G., « Pain demands attention : a cognitive-affective model of the interruptive function of pain », Psychological Bulletin, 1999; 125 : 356-366
(3) Petrovic P., Petersson KM, Ghatan PH, Stone-Elander S, Ingvar M, « Pain-related cerebral activation is altered by a distracting cognitive task », Pain, 2000; 85 : 19-30
(4) Weisman S.J., Bernstein B., Schechter, N.L., « Consequences of inadequate analgesia during painful procedures in children », Archive of Pediatrics and Adolescent Medicine, 1998; 152 : 147
(5) Taddio A, Katz J, Ilersich AL, Koren G., « Effect of neonatal circumcision on pain response during subsequent routine vaccination », Lancet, 1997; 1;349 (9052) : 599-603.